Keter [רתכ] signifie « couronne » en hébreu. Dans la Bible hébraïque, le verbe רתכ apparaît avant le substantif. Il signifie « entourer, encercler ». En hébreu post-biblique (moderne), on croise également le terme sous l’acception de « couronner » – au sens de couronner un roi ou une reine. Keter est également le Sephira1 qui se trouve à la cime ou au sommet de l’Arbre de Vie kabbalistique – la « couronne » pourrait alors se traduire par « sommet », mais aussi par « diadème royal », car dominant les autres Sephiroth. Il se situe juste au-dessous de En Sof – l’Inconnu, l’Éternel, l’Essence divine. En tant que premier Sephira, on l’appelle « Couronne », car une couronne se porte sur la tête. Cette « Couronne » évoque également tout ce qui se situe au-dessus des capacités d’entendement de l’esprit humain. Le Zohar dit du Keter que c’est « la plus cachée des choses cachées ». Keter est invisible et incolore.
Les rouleaux manuscrits de la Torah sont traditionnellement enveloppés dans des tentures et agrémentés de « couronnes ». Une Keter Torah est un objet magnifiquement ouvragé, généralement d’argent et d’or, souvent orné de clochettes. Certaines lettres manuscrites, extraites de la Torah, l’enjolivent, décorées de petits ornements – que l’on appelle des Ketarim (pluriel), ou Tagim en araméen, c’est-à-dire des « couronnes ».
Mais la « Couronne » évoque aussi le « Corona » – bien de notre temps, celui-là.
Cette pièce pour clarinette basse, alto, violoncelle, harpe préparée et désaccordée et piano préparé a été composée pour les solistes de l’Ensemble intercontemporain. C’est une musique assez sombre, mais jalonnée de quelques lumières, tels des petits points scintillants. La sphère harmonique est élaborée à partir de 70 accords (microtonaux).
Le piano a un rôle important, on a le sentiment qu’il se traine, ou qu’il se charrie, lui-même grâce à ces accords, au travers un espace vaste et obscur. Mais chaque instrument a son rôle, en relation, ou en différenciation (isolement), avec les autres. De temps en temps, des effets sont ajoutés aux instruments (amplifiés), transformant couleurs, dimensions ou perspectives – la harpe et le piano agissant chacun sur les effets de l’autre, témoignant de ces interrelations qui s’exprimeraient également d’un point de vue technologique.
Keter a été composée pendant la pandémie de coronavirus, en 2020, et est dédiée à tous ceux qui luttent.
- Note du traducteur : le terme « Sephira » (pluriel : « Sephiroth ») désigne une puissance créatrice censée émaner d’une énergie universelle. Les Sephiroth, au nombre de dix, forment un « Arbre de Vie » dont la connaissance doit, dans l’idéal, concourir à rendre la vie humaine, spirituelle et matérielle, moins chaotique et plus harmonieuse.
Sarah Nemtsov, note de programme du concert du 13 janvier 2024 à l'Espace de projection, à l'Ircam.