J’ai écrit Su un arco di bianco entre 1990 et 1991, alors tout jeune compositeur issu du conservatoire de Milan. Ces années ont marqué un tournant dans la définition de mon langage compositionnel, du moins de ce que je considère être sa première phase.
J’étais à l’époque nourri par la musique des compositeurs qui m’attiraient profondément (Schubert, Debussy, Webern, Nono, Castiglioni), par la poésie des Pablo Neruda, Friedrich Hölderlin, Franco Fortini, Vittorio Sereni, Mario Luzi, Edoardo Sanguineti, Giorgio Caproni, Toti Scialoja (que je mettais déjà en musique dès avant 1990) aussi bien que par l’art plastique (Jan Vermeer, Paul Klee et Fausto Melotti) qui fut mon premier moyen d’expression artistique. Je me rapprochais alors tout naturellement de l’univers poétique d’Emily Dickinson dont je mettais concomitamment en musique quelques poèmes (réunis en 1992 dans le cycle Least Bee). Dans les paroles de cette poétesse, à la fois simples et insaisissables, et dans les structures sémantiques organiques et vertigineuses qu’elles échafaudaient, je trouvais réalisé une forme d’idéal que je voulais atteindre avec ma musique, ainsi que le but expressif auquel devaient aspirer ses procédés formels.
Voici ce que j’écrivais en 1991 pour présenter Su un arco di bianco : « Dans cette pièce, deux intentions formelles opposées coexistent. D’une part, le choix de moyens extrêmement simples : quelques gestes minimaux (des “signaux”), quelques principes de relation régis par celui, essentiel, de la répétition. D’autre part, un travail subtil d’élaboration timbrique qui donne aux éléments des significations simples et en constante évolution, qui fait briller un seul geste avec des intentions différentes, attribue et soustrait en même temps un centre à la construction. Comme si, de manière surprenante, un discours était créé avec un répertoire de mots très limité, en leur donnant des intentions et des significations différentes par le simple déplacement d’accents ; comme si en choisissant une direction indiquée, on voulait couvrir toutes les autres directions possibles (Paul Klee, Labiler Wegweiser).
Le titre est la traduction italienne d’un fragment de poème d’Emily Dickinson :
A Spider sewed at Night
Without a Light
Upon an Arc of White
Une araignée tissa la Nuit
Sans une Lumière
Sur un Arc de Blanc
La figure de la litote, de l’ellipse, une économie générale des moyens, le minimalisme constructif et la microscopie sonore de son traitement devaient produire un effet de simplicité apparente et d’ambiguïté insoluble. J’en parle, du point de vue théorique, dans deux écrits parus peu après la composition de Su un arco di bianco et de Least Bee, qui marquent la fin de ma première période compositionnelle : Considérer l’évidence comme énigmatique (1993) et Les paradoxes de la simplicité (1996).
Depuis, j’ai essayé de développer un langage de composition de type « inclusif », formellement complexe, plus riche et dense du point de vue dynamique et polyphonique, narratif et dramatique, varié stylistiquement et expressivement, par l’intégration à différents niveaux d’autres genres de langage musical, savants, traditionnels et populaires, à la recherche d’une relation profonde avec l’histoire et projetée vers le futur. Si je suis resté fidèle à la poésie comme principale source d’inspiration (avec notamment des pièces pour une ou plusieurs voix solistes et pour ensemble vocal d’après Rainer Maria Rilke, Gottfried Benn, Lisa Spalt, Luís de Camões, Torquato Tasso, John Donne, Angelus Silesius, Nelly Sachs, Giuseppe Ungaretti, Lorenzo Calogero, Philip Levine, José Ángel Valente, Saigyō Hōshi, Samuel Beckett, Hyacinth Freiherr von Wieser), tout cela m’a amené à abandonner une vision « épurée » de la musique, évidente dans Su un arco di bianco, et à approfondir les problèmes de la musique comme discours, véhicule et message, à la fois agissant sur les émotions et mettant en valeur ses aspects cognitifs, son potentiel communicatif.
Stefano Gervasoni, note de programme du concert du 22 juin 2019 au Centquatre-Paris.