D’abord la joie : une pièce pour voix seules, ça me parle ; c’est direct, personnel. Pourtant, en écrivant, des difficultés inattendues se sont accumulées.

Dans mon imagination, les voix ne formaient pas un corps sonore ; elles voulaient toujours parler, dire quelque chose, et même quelque chose d’important.

Alors qu’avec un son un instrument peut justement communiquer quelque chose d’important, il me semblait que les sons, dans le cas des voix, faisaient diversion. Les voix «pures», directes, nues, sans l’élaboration que permet un matériau (l’instrument), dirigeaient mes pensées, plutôt rationnelles, vers l’essentiel et je me retrouvais ainsi à chaque fois ramenée au degré zéro de l’existence. L’irrationnel, que je peux décrire très exactement avec la musique instrumentale, devenant avec les voix trop personnel et trop privé, ne permettait ni aux oreilles ni aux sentiments de s’ouvrir. J’atterrissais ainsi en plein dans la langue et même sur la pierre angulaire de toute communication: sur le dire-oui-et-non, ou mieux, le dire-oui et le vouloir-dire-non, avec toutes les nuances de «tonalité», d’intonation. (…)

Je n’ai jamais pu «mettre en musique» des textes finis, soit parce qu’ils étaient bons et n’avaient nullement besoin des sons, soit parce qu’ils n’étaient pas assez bons. Par ailleurs, je souhaitais dans cette pièce que les éléments se développent d’eux-mêmes, suivant une logique interne, suivant donc aussi le texte.

Dans Nein allein les mots sont apparus de façon curieuse. Le plus souvent, son et rythme surgissaient d’abord, puis le mot suivait. Ce processus avait quelque chose d’absurde et de palpitant, le mot exact, convenant à la musique et au contenu, faisant soudain surface. Quand ce n’était pas le cas, il me fallait poursuivre la recherche ou bien trouver où ça coinçait. Le texte désigne ce qui a lieu dans la musique.

Carola Bauckholt

Carola Bauckholt, Nein allein pour cinq voix
Composition : 1999-2000