<p>J’essaie, de plus en plus, non pas d’écrire de la musique, mais de créer des conditions telles qu’une musique possible puisse se réaliser selon sa propre grammaire, ses propres intentions. Il s’agit alors pour moi de définir des sujets, des dramaturgies, des situations en changement, dans le temps et dans la résonance individuelle de l’auditeur.</p><p>L’accordéon est un instrument unique : ses « claviers » n’ont pas d’équivalent tant dans leur forme que dans leur ergonomie ; c’est aussi un instrument à vent, mais sans embouchure qui le relierait aux poumons de l’instrumentiste ; c’est un instrument à anches battantes, comme l’est la régale pour laquelle Monteverdi a prévu de tenir le <em>continuo</em> pour les moments les plus terrifiants de son <em>Orfeo</em>.</p><p>Ce qui me fascine le plus, c’est la plasticité du réseau symbolique propre à la relation de l’instrument à son interprète : on tient l’accordéon contre son ventre, sur ses genoux, comme s’il s’agissait d’un enfant à qui l’on raconte une histoire le soir. Les mouvements symétriques, alternants, évoquent chez moi le mouvement de balancier d’un berceau ; mais c’est aussi un instrument très violent dans l’athlétisme qu’il requiert de la part de celui qui le manipule, très violent, également, par la virtuosité qu’il peut dégager : une virtuosité méchante, macabre.</p><p>C’est pour toutes ces raisons que la pièce que j’écris actuellement (l’encre des premières esquisses est encore fraîche) pourrait être décrite comme une collection de berceuses, chacune entendue du point de vue d’un jeune enfant expérimentant autant de moments oniriques, allant de l’extase aux cauchemards les plus traumatisants.</p><p><em>Brice Pauset.</em><br /></p>