L'une des premières pièces contemporaines marquantes que j'aie entendues, à l'âge de 15 ou 16 ans, fut Octandre d'Edgard Varèse. Ses images sonores cristallines, ainsi que le langage dénué de sentimentalisme et vigoureux dans lequel elles étaient exprimées m'ont intéressé et stimulé. D'une certaine manière, Terrain est une façon de payer, par un chemin détourné, une vielle dette, puisque les huit instruments choisis sont précisément ceux employés dans Octandre, bien qu'avec un certain nombre de doublements secondaires.
Quand l'occasion m'a été donnée d'écrire une pièce concertante pour Irvine Arditti, j'ai voulu compenser son brillant très personnel par un ensemble incisif et riche en timbres différents. Ayant moi-même autrefois joué d'un instrument à vent, j'ai vu dans l'effectif d'Octandre de grandes possibilités de textures, de dynamiques et d'articulations. Ce qui m'a également séduit, c'est le fait que cette instrumentation, bien qu'étant celle d'un morceau très célèbre, ne s'était jamais imposée comme un « standard » : ainsi, en ce qui concerne la forme, un certain degré d'innovation était possible.
Comme un paysage accidenté, Terrain peut être imaginé comme un équilibre provisoire et volatile entre des forces s'exerçant sur des niveaux différents, mais exposées simultanément. Le violon solo du début, aux sonorités très variées, est graduellement amplifié, distordu et obscurci par diverses strates, certaines étant des duos (le premier pour piccolo et contrebasse), d'autres marquées par des solos très ornementés ou de larges tutti. Le milieu de l'œuvre, très dense, est composé d'une succession de « relectures » de plus en plus chaotiques dans lesquelles le violon reprend peu à peu fermement sa prépondérance initiale. Vers la fin, des fragments sans couleur sont répétés d'une manière obsessionnelle, pour finalement être laissés là comme de grosses pierres aux formes irrégulières dans une morne toundra à l'aspect post-glaciaire. Le titre lui-même a été emprunté au poème du même nom de A.R. Ammons. Je souhaite également rendre hommage à Robert Smithsons pour l'influence inspiratrice de ses derniers écrits d'esthétique.
Brian Ferneyhough.