informations générales

date de composition
2012
durée
15 min
Dédicace
à Geoffroy Jourdain et aux Cris de Paris, à Grégoire Lorieux, Silvia Borzelli et Mauro Lanza

genre

Musique vocale a cappella (5 voix solistes et plus)

effectif détaillé

Soliste(s)
soprano solo, 2 mezzo-sopranos solo, contre-ténor solo, 4 ténors solo, 2 barytons solo, 2 basses solo

informations sur la création

date
1 juillet 2012

France, Paris, festival-académie ManiFeste, CENTQUATRE, salle 400

interprètes

les Cris de Paris : Adèle Carlier : soprano, Émilie Nicot et Pauline Leroy : mezzo-sopranos, Damien Brun : contre-ténor, Benjamin Aguirre Zubiri, Christophe Gires, Antoine Jomin, Mathieu Marinach, Stephan Olry et Ryan Veillet : ténors, Ronan Airault, David Colosio, Pascal Gourgand, Christophe Grapperon, Julien Reynaud et Jean-Michel Durang : basses, direction : Geoffroy Jourdain.

Information sur l'électronique

Information sur le studio
Ircam, Cursus 2
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale)
Grégoire Lorieux, Andrea Sarto
Dispositif électronique
temps réel

Note de programme

Qohelet, littéralement « celui qui s’adresse à la foule », est un livre de l’Ancien Testament mieux connu sous le titre de L’Ecclésiaste (qui en est la traduction grecque). C’est l’auteur lui-même, fils de David et roi d’Israël à Jérusalem, qui se présente ainsi. Témoignant de l’influence exercée par les philosophies grecques comme l’épicurisme et le stoïcisme sur la pensée juive, ce livre fait de maximes et d’aphorismes laconiques traite, sur le ton de l’impuissance et du pessimisme, du thème de la vanité – un thème qui irriguera largement les arts, de la peinture à la littérature en passant par la musique, dès le XVIIe siècle.

Andrea Sarto, quant à lui, a découvert L’Ecclésiaste il y a une dizaine d’années, et ce livre n’a cessé depuis de mûrir en lui et de nourrir son imaginaire – en 2008 déjà, il compose un quatuor à cordes intitulé Hével, le premier mot de L’Ecclésiaste, et c’est ce même mot, « Hével », qui nourrit l’essentiel de Ogni Parola della Tua Bocca (« Chaque mot de ta bouche ») pour douze voix et électronique.

Il n’y a toutefois pas ici de livret à proprement parler. Plutôt que de mettre en musique des passages entiers de texte, Andrea Sarto préfère se concentrer sur ce mot, « Hével », un peu à la manière d’un sémiologue, d’un traducteur, ou d’un talmudiste « musical », comme on voudra, et donner ainsi une vie sonore à son sens – en l’étirant sur la durée entière de la pièce.

Littéralement « vanité » en hébreu, « Hével » peut aussi s’entendre comme « beau et vide ». La langue hébraïque, qui fonctionne souvent par images, évoque pour « Hével » une fumée en train de se dissiper dans l’air. C’est ainsi que le mot, son sens, son aura, autant que sa phonétique, inspirent une écriture musicale étroitement liée aux modes de jeu et à la physiologie des chanteurs. Les premières notes de l’œuvre sont chantées bouche fermée, dans le registre grave – ce qui produit un son à la fois diffus et intime, singulier et d’une grande richesse spectrale : un son qui, telle la fumée, se dissipe dans l’air ambiant, en même temps qu’il figure une forme d’avertissement, « prends garde à ce que tu t’apprêtes à dire, que ta parole ne soit pas vaine ». Le mot lui-même n’est pas prononcé pendant de longues minutes – on n'entend que sa voyelle, « e », puis ses consonnes. 

Pour mieux illustrer musicalement « Hével », mot et sens, Andrea Sarto s’aide naturellement de sa connaissance du texte, mais aussi des travaux de l’écrivain Jacques Roubaud, qui a eu la lourde tâche de traduire L’Ecclésiaste pour la nouvelle édition de La Bible sortie chez Bayard en 2001. Pour élargir encore le champ de son inspiration, Sarto suit également les nombreuses références aux psaumes dont est généralement émaillé le texte biblique, dans la plupart des éditions (la première ligne du Qohelet où l’on peut lire « Hével », renvoie ainsi au verset 12 du Psaume 39).

Peu à peu, les lignes musicales de « Hével » vont aller s’estompant, les blocs vont se détacher et se réduire en poussière. Le mot se retire, pour se dissoudre dans le fond sonore, et l’on entend, lointains, quelques autres mots qui semblent en sortir à leur tour – comme si tous les mots formaient une sorte de nuage – Hakol, Hédam, Amarha, Qohelet…

Les divers traitements électroniques font ici office de « loupe acoustique », qui explore en temps réel les douze voix du chœur, et permet de mettre l’accent sur certaines qualités de timbre ou de dynamique : dans tout le début, Andrea Sarto se concentre ainsi sur les fréquences basses, renforçant la densité spectrale du grave des voix.

Vers la fin de la pièce, le chant est analysé en temps réel par un logiciel de reconnaissance de voyelle, lequel contrôle la spatialisation. À chaque voyelle correspond en effet un lieu d’émission et de résonance dans la cavité buccale (« ou » résonne à la sortie de la bouche, entre les dents et les lèvres, « i » au niveau du palais, « e » au fond de la gorge, etc.), et c’est cette cavité buccale qu’Andrea Sarto tente de restituer au moyen de l’espace de diffusion sonore. Le chœur symbolise ainsi le fond de la gorge (le larynx, où se situent les cordes vocales), et les divers haut-parleurs sont placés stratégiquement pour figurer un lieu ou un autre de la cavité.

Chœur et électronique ne forment ainsi qu’une seule bouche. Les douze chanteurs respirent de conserve : c’est leur respiration, régulière et commune à tous, qui structure l’œuvre. Même quand ils ne pas chantent pas, ils respirent avec la même régularité, à la manière d’une pulsation. Comme s’ils partageaient les mêmes muscles, le même diaphragme. Comme un organisme unique, à la voix multiple.



Jérémie Szpirglas, programme du concert de la création, 1 juillet 2012, ManiFeste Ircam.

captations

Voir la fiche media

complete.mp3

Composé par Andrea Sarto , concert du 1 juillet 2012


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